Une loi mathématique vieille de 200 millions d'années a forgé le museau des dinosaures... et façonne encore le bec des oiseaux
- Valentin Rionceny

- 23 avr.
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D'après des scientifiques, une simple loi mathématique – la "cascade de puissance" – pourrait expliquer la forme des becs, du tyrannosaure aux oiseaux modernes. Ils montrent ainsi comment une règle unique peut traverser des millions d'années d'histoire et générer une étonnante diversité.
Mathilde Ragot Publié le 23/04/2025 à 7h10
Les becs des oiseaux présentent une incroyable variété : longs et fins chez le colibri, puissants et tranchants chez l'aigle, plats et larges chez le canard… Cette diversité a longtemps fasciné les biologistes. Or, derrière celle-ci se cacherait une règle mathématique étonnement simple, qui semble guider l'évolution de la forme de leurs becs… depuis pas moins de 200 millions d'années. Une découverte récemment réalisée par les chercheurs de l'École des sciences biologiques de l'université de Monash (Australie), qu'ils présentent dans The Conversation et dans la revue iScience ce mois d'avril 2025.
"Cascade de puissance" chez les théropodes
Les scientifiques avaient déjà identifié une "règle mathématique cachée" commune à la forme de nombreuses structures pointues (becs, dents, griffes, cornes, coquilles, épines) : la "cascade de puissance" (power cascade), qui montre qu'elles suivent un modèle précis de croissance. En effet, leurs largeurs semblent augmenter progressivement de la pointe vers la base. Après l'avoir repéré chez différentes espèces – requins, oiseaux voire certains végétaux –, les auteurs de l'étude ont voulu savoir si cette loi s'appliquait aux disparues.
Ils se sont donc penchés sur le cas des théropodes (Theropoda), groupe de dinosaures généralement bipèdes et souvent carnivores comprenant aussi bien le Tyrannosaurus rex que les ancêtres directs des oiseaux. En analysant de 127 espèces, ils ont découvert que 95 % des becs et museaux de ces animaux étaient gouvernés par la fameuse règle de la "cascade de puissance". "Chez les théropodes, [...] les becs ont évolué au moins six fois. À chaque fois, les dents ont disparu et le museau s'est allongé pour prendre la forme d'un bec au fil de millions d'années", écrivent les spécialistes.
Grâce à des analyses évolutives de pointe par modélisation informatique, nous avons démontré que le théropode ancestral avait très probablement un museau denté respectant la règle de la cascade de puissance.
Des rares exceptions qui confirment la règle
Cela signifie que cette "loi" biologique était déjà à l'œuvre bien avant l'apparition des oiseaux modernes. Ce n'est pas tout : elle s'est maintenue après l'extinction des dinosaures, il y a 66 millions d'années. Les becs oiseaux modernes, s'ils ont évolué pour remplir toutes sortes de fonctions – attraper des insectes, picorer des graines, boire du nectar, déchirer de la viande – respectent eux aussi la règle. Si ce n'est, ceux de quelques rares "rebelles".
C'est le cas de la spatule blanche (Platalea leucorodia), échassier au bec plat et large qui lui permet de fouiller la vase à la recherche de proies aquatiques – notamment, dans les marais salants de Guérande. Cette forme très spécifique de structure anatomique, liée à un mode de vie unique, montre que la "cascade de puissance" peut être contournée.
Pour autant, indiquent les chercheurs, ces exceptions ne remettent pas en cause la validité de la règle. "Au contraire, cela met d'autant plus en lumière l'intérêt de la cascade de puissance, déclarent-ils. La plupart des becs d'oiseaux croissent selon notre règle, et ces formes peuvent s'adapter à la plupart des régimes alimentaires. Mais parfois, des originaux comme la spatule contournent la règle pour attraper leurs vers bien particuliers."
Ils souhaitent désormais étudier la croissance des becs chez les jeunes oiseaux, pour voir si cette règle s'applique dès la naissance. Ils espèrent aussi découvrir si d'autres animaux vertébrés, comme les mammifères ou les poissons, la suivent eux également.
Si la cascade de puissance est vraiment une règle fondamentale de croissance des becs, nous pourrions nous attendre à la retrouver cachée dans de nombreuses autres formes au sein de l'arbre de la vie.



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